Christian Alandete, “Tant que les heures passent” / Artpress n°364

Bruxelles – Galerie Sébastien Ricou
20 novembre – 23 janvier 2010

Conçue comme une trilogie, l’exposition de John Cornu, initiée à L’attrape-couleurs à Lyon (dans le cadre de la biennale), poursuivie à la Chambre Blanche à Québec, trouve sa forme finale à la Galerie Sébastien Ricou à Bruxelles. Dans ces trois villes qui partagent une langue commune, enrichie de particularismes locaux, l’artiste a esquissé la trame d’une réflexion sur les possibilités d’un romantisme contemporain en reformulant les motifs de la chute, de la ruine et de la cécité selon les codes d’une esthétique minimaliste et conceptuelle. À l’élégie de la désolation, l’exacerbation du sentimentalisme et l’omniprésence du subjectif cher aux romantiques, l’artiste oppose une mise à distance ouvrant sur une poétique de la ruine qui n’en aurait plus que l’apparence.
D’un site à l’autre, il s’amuse à reconfigurer des œuvres amorcées ici et là. Sans titre (verticales), une ligne de tiges érodées, déposée le long d’un mur de la galerie, semble les vestiges de la pièce Je tuerai la pianiste qui traversait de part en part l’espace de Québec. De même, Sonatine (mélodie mortelle), pour laquelle il avait remplacé tous les néons de l’espace d’exposition par des tubes fluorescents usagés, dont les cliquetis aléatoires formaient une véritable partition visuelle et sonore, présentée à Lyon dans sa version extensive, se limite ici à une seule occurrence, amplifiée par une paire de micros. Dans ce jeu de réévaluation de ses propres pièces aux différents contextes d’exposition, l’artiste nous rappelle sa filiation avec des pratiques d’un art « in situ » dont il a su s’affranchir pour tracer sa propre voie. Si les œuvres ne sont plus déduites du lieu d’exposition, elles n’en sont pas moins « situées », ajustées à chaque fois selon des protocoles variables.
En guise d’introduction à l’exposition de Bruxelles, John Cornu a choisi de recadrer dans le journal Libération, une des images emblématiques du 11 septembre, dans laquelle on pouvait distinguer un homme chuter, après s’être défénestré des tours en flammes. En opérant une rotation à 90 degrés, il transforme cette icône du drame en véritable gisant moderne, comme s’il avait pu procéder à une accélération du temps, rendant visible l’issue finale de l’action.
À l’entrée de l’exposition, l’artiste propose d’ébaucher de manière singulière le portrait de Tirésias, en confiant à un ébéniste atteint de cécité à la suite d’une maladie dégénérative la réalisation d’un châssis de peinture. Du portrait, il ne reste alors qu’une forme évidée sur laquelle le spectateur peut projeter sa propre représentation.
D’une oeuvre à l’autre, l’artiste trace les contours d’une réalité manipulée où ce qui est donné à voir ne correspond jamais tout à fait à ce que l’on pense regarder.

© Christian Alandete, décembre 2010
in Artpress n°364